vendredi 11 mai 2012

Romance : la Reconnaissance

 

Romance : la Reconnaissance


S'inspirant d'une romance de José de Espronceda, ce poème raconte une très belle histoire d'amour et de fidélité conjugale.


"Así brilló un momento mi ventura
en alas del amor, y hermosa nube
fingí tal vez de gloria y de alegría.
Mas, ay, que el bien trocóse en amargura,
y deshojada por los aires sube
la dulce flor de la esperanza mía."
(José de Espronceda, Soneto)
 
La dame 
Au nom de Jésus et de Sainte Marie,
Seigneur chevalier, ne partez point, je vous prie,
Et d’une malheureuse daignez plaindre le mal ;
Reposez votre lance et quittez votre cheval,
Armé, il ne sied point de parler à une dame ;
Dites-moi, dans les lieux où vous conduit la lame
Et où de la Sainte Guerre le saint devoir
Appela votre épée, ne pûtes-vous point voir
Mon cher époux dont le souvenir me tourmente ?

Le chevalier
Gente dame, vous que je vois si charmante,
Je ne connais point votre époux, bien malheureux
De laisser ici tant de beauté. De ce preux
Dépeignez-moi les traits qui ont su vous plaire.

La dame
Plus radieux que ce soleil qui nous éclaire,
Jeune et blanc comme vous êtes, est mon époux vaillant
Qui partit assaillir nos barbares assaillants.
Vainqueur à Alcama, plus puissant que Pélage,
De mille hommes réunis il égale le courage,
Les Sarrasins le craignent, Anbasa s’en souvient ;
Al Qama, Tolède et les monts asturiens
À Covadonga virent sa foudre reluire
Le fils de Favila bénit sa pieuse ire
Et de sa meurtrière épée le saint courroux,
Que pour les sauver nos terres implorent à genoux.
D’un pennon portugais il orne sa lance
Qu’il ravit dans une joute à un vaillant de France ;
Des armes de marquis décorent le pommeau
De son épée. Et les mers, et les monts jumeaux,
Le virent passer. Mais moi, à errer condamnée,
Triste, je ne le vis point. Dix longues années
Ont passé, odieuses à mon nom et mon amour,
Et mon cœur malheureux attend son prompt retour.

Le chevalier
Dix ans, madame ! Dites-moi, l’aimez-vous encore ?

La dame
Si je l’aime ! Il est ma nuit et mon aurore,
L’hymen et l’amour ont uni nos cœurs épris ;
Ses paroles me consolent et son œil me guérit,
Il est mon maître. À ses vœux demeurée fidèle,
Dix ans sont pareils à dix jours pour mon zèle.
Qu’il soit près de moi ou que de moi il soit loin,
Sa flamme, qui reluit dans mon cœur, ne s’éteint point !
Il est brave, mais courtois. Malgré sa puissance,
Sa douceur point ne se démentit. Son absence
Me torture. À la mer, à la terre et aux vents
Et à tout l’univers, je dis son nom en rêvant ;
Je dis à l’oiseau : « Ô, oiseau à l’aile blanche !
Toi qui de toute l’Espagne ploies chaque jour les branches,
Dis-moi, ne vis-tu point mon époux bien-aimé ? »
À la mer : « D’une épouse dont le cœur alarmé
Pleure jour et nuit, daigne consoler l’inquiétude !
Que tes sombres flots, qui causèrent ma solitude,
Me ramènent l’ami de mon cœur qu’ils ont pris ! »
Et au vent : « Écoute l’écho endolori
De ma voix, et daigne l’emporter sur ton aile !
La poussière des chars le cache à ma prunelle,
Au champ belliqueux où mon œil point ne le voit,
Suppliante et craintive, daigne emporter ma voix ! »
Et l’oiseau, et la mer, et le vent, et les ondes
Se sont tus, seigneur. Et ma tristesse profonde
De parler implore votre cœur aujourd’hui.
Mon cœur vous a dépeint ses traits, et mes ennuis.
Je vous ai peint et ses travaux et ses armes,
Le vîtes-vous, seigneur ? Répondez à mes larmes !

Le chevalier
Je vous plains, madame. À ces signes trop certains,
Votre cher époux est mort. Le cruel destin
Qui nous oublie, n’a point écouté vos prières
Et de ce brave héros courba la tête fière.
Cependant, madame, modérez vos transports ;
Chrétien, il vivait, et chrétien il est mort.
Dix Maures l’assaillirent, loin de l’œil de l’armée
Pour la tête auguste de son roi alarmée,
Mais ce brave, luttant avec la même fureur,
Comme un lion irrité et sûr de sa valeur,
Les brava. Et à ce combat sanguinaire
Il courut, grondant comme dans le ciel le tonnerre.
Il les tua tous. Leur sang mouillant ses attraits,
Il s’avançait. Mais d’un archer le traître trait
En le blessant rougit son cœur intrépide.

La dame 
Il est mort ! Il est mort ! Ô, guerre homicide !
Ô, mon cher époux ! Je ne te verrai donc plus !
Je compterai, loin de toi, mes jours superflus !
Il est mort ! Malheureuse, à quoi me sert de vivre ?
Ô, Dieu ! Que la mort de la vie me délivre !
Chevalier, donnez-moi votre épée. Dans mon sein
Je la plongerai sans trembler de mon dessein ;
Comme mon époux, par les armes je mourrai !

Le chevalier
Ne pleurez point, madame. Seul votre cœur souffrait
Le sien était heureux. Entouré de maîtresses,
Tandis qu’éplorée se mourait votre jeunesse,
Il vous oubliait et songeait à ses plaisirs,
Et, quelque aimé qu’il fût, il aima à loisir !
Je puis vous consoler. De cet amant volage
Vengez-vous, et que mon cœur vous soulage !
Vous n’êtes point à l’âge où l’on porte des fardeaux ;
Vous êtes belle encore et je suis encore beau,
Je serai votre amant ou votre époux, qu’importe
La nacelle, puisqu’au rivage elle nous emporte ?
Oubliez, madame, ce ténébreux souvenir,
Souffre que je vous aime, et laissez-moi bénir…

La dame
Que j’oublie ? Que je me venge ? Qu’osez-vous dire,
Malheureux ? Ce n’est point pour vous que je soupire !
Je n’aime que lui, et je l’aimerai toujours !
Ah ! Je ne puis souffrir votre ignoble secours,
Et votre épée m’eût mieux servi que vos paroles !
Chevalier, est-ce donc ainsi qu’on console
Une veuve qui souffre et qui ne veut que mourir ?
Cherchez fortune ailleurs. Je ne puis vous offrir
Ce qui lui appartient. Il périt pour l’Espagne
Et je périrai pour lui. Ou, de Dieu la compagne,
J’irai mouiller la croix de son Fils de mes pleurs.
Dans un couvent je cours ensevelir ma douleur ;
Je prierai Dieu pour son âme dans cet asile.
Que ton cœur qui cessa de battre soit tranquille,
Ô, époux ! Fidèle à ta vie, à ton trépas
Je serai fidèle, et je ne t’oublierai pas !

Le chevalier 
À mon amour pourquoi opposer tant de haine ?
La mort de votre époux vous libère de ses chaînes.
Madame, je suis noble et riche. Je puis vous couvrir
D’or qui remplirait et l’Èbre et Guadalquivir,
Cidacos, Aragon, Jalón et la Tage !
Sous mon toit propice vous vivrez loin de l’orage ;
Vous serez ma reine et je serai votre roi,
Vos jours seront bénis et vos nuits sans effroi !

La dame
De grâce, quittez ce funeste langage !
Si mon époux était vivant, pour cet outrage,
Il vous eût occis, et eût offert aux vautours
Votre ignoble dépouille. Quoi donc ? Seriez-vous sourd ?
Je ne veux point de vous, monstre que vous êtes !
Ô, péché hideux qui ne ploie point votre tête !
Dussent tous les fers des Maures me déchirer,
Pour vous, fat, vous ne me verriez point soupirer !
Allez-vous-en, ou au nom de Dieu je jure
De me donner la mort pour ne point vivre impure !

Le chevalier
Vous n’allez point mourir, madame. Votre époux
Est vivant, il vous parle et il est devant vous.



Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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