jeudi 12 juillet 2012

Le pari et la fourberie d’un vieillard


Le pari et la fourberie d’un vieillard


 Trois hommes généreux firent un pari. Le premier
Dit : « Kaïs ibn Sâad, comme Mahomet chamelier,
Est le plus généreux et le plus saint des hommes »
Le deuxième dit : « Dans le monde où nous sommes
Abdullah ibn Jaafar, brave dans le combat,
Est le plus généreux » « Par Dieu ! C’est Oraba
Qui est des mortels le plus magnanime !
Dit le troisième. Et toujours nous le vîmes
Donner aux pauvres tout ce que portaient ses mains,
Et il est sans doute le plus preux des humains »
Ils se querellèrent et se dirent des mots rudes.
Un  vieillard qui passait leur dit : « La solitude
Des hommes éprouve la générosité ;
Que chacun de vous trois aille seul visiter
Son élu, vêtu de haillons, et qu’il laisse
Ici son cheval et le sabre qui blesse,
Je serai, moi vieillard, le juge impartial
Qui de ce différend dira le mot final.
Que chacun de vous s’en aille et revienne,
Je vous attendrai dans ces lieux, ma gourde est pleine,
Je m’endormirai à l’ombre de ces rameaux »

Ils s’en allèrent. Le premier homme, sur son chameau
Vit Kaïs ibn Sâad et lui dit : « Mon frère,
Pauvre et affamé, depuis trois jours j’erre
Le cœur triste et la main ouverte, demandant
L’aumône. Mais je crois que le soleil ardent
Est plus doux que les hommes qui me ferment leurs portes »
« Manant, prends ce chameau et tout ce qu’il porte »
Répondit Kaïs, aux lèvres un sourire doux.

Vêtu de loques où l’on voyait maints trous,
Le deuxième homme alla rendre visite
A Abdullah. A la porte de son gîte
Il frappa deux fois. Son esclave qui sortit
Lui dit : « Je suis seul et mon maître est parti.
Que désires-tu ? » L’homme répondit : « Je suis pauvre,
Je marche depuis deux jours et j’ai la fièvre,
Pitié, je vais mourir ! » Et l’esclave, content,
Lui dit : « Pauvre homme, je vais revenir, attends.
Mon maître a promis qu’il brisera mes chaînes
Quand au premier manant je ferai l’aumône »
L’esclave s’en alla et revint rapidement
A l’homme qui feignait de gémir douloureusement
Dire : « Prends ces trois mille dinars. Va à l’étable
Et choisis un cheval. Homme misérable,
Que Dieu te bénisse, je suis libre grâce à toi »

Le troisième homme, poussant des soupirs pleins d’émois,
Alla voir Oraba dans sa chaumière
Qui était aveugle et allait à la prière
Aidé par deux esclaves marchant à ses côtés.
Par ses gémissements suppliants arrêté,
Il lui dit : « Prends ces deux esclaves qui sont mes ailes.
C’est tout ce que j’ai, ils sont jeunes et pleins de zèle,
Serviteurs fidèles et habiles ouvriers »
Et dans l’ombre Oraba, qui s’en alla prier,
Aux murs se cognait et trébuchait, âme pure.  

Les trois hommes se dirent leurs trois aventures
Et s’écrièrent : « Par Dieu ! C’est le malheureux
Oraba, qui est des hommes le plus généreux !
A nos bienfaiteurs nous rendrons ce qu’ils possèdent,
Mais revenons voir ce vieillard, qu’il nous aide
A choisir le vainqueur parmi nos trois rivaux »
Ils ne le virent point. A la place de leurs chevaux,
Ils trouvèrent un billet où ils lurent, livides :
« Ces hommes sont généreux et vous êtes stupides »


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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