dimanche 10 avril 2016

Conte: Le joyeux Misère

le joyeux misère

Un riche homme mourut un jour. « Pan ! pan ! pan ! pan ! »
Fit-il, à la porte du paradis frappant.
« Qui est là ? » demanda-t-on. « Je m’appelle Jacques,
Je suis le plus riche de Bilia. » « On s’en moque !
Que veux-tu, étranger ? » « Entrer au paradis. »
« Va plutôt aux enfers. Ne fus-tu pas, jadis,
Avare et sans pitié pour les malheureux pauvres ?
C’est pour les bienfaisants que cette porte s’ouvre,
Et pour ceux qui savent chérir comme donner. »
Et le saint lui ferma bientôt la porte au nez.
Jacques le riche alla s’asseoir sur un banc vide,
Attendant un moment plus propice, livide.
« Pan ! pan ! pan ! » « Qui est là ? » « Je suis le pauvre Jean,
Père de trois enfants qui mourut sans argent,
Sans rien dans les poches et sans rien dans le ventre. »
« Je te connais, mon bon Jean ; au paradis entre. »
A la porte on frappa de nouveau. « Qui est là ? »
« Je m’appelle François et je suis triste et las. »
« Et pourquoi te crois-tu d’entrer ici digne ? »
« Si je crois mériter cette faveur insigne,
C’est parce que c’était sur terre, mon enfer !
Une femme affreuse me tenait dans ses fers ;
Colérique, j’étais son malheureux esclave. »
« Tu es alors plus sot, l’ami, que tu n’es brave.
Le paradis n’est point pour les faibles d’esprit. »
« Pan ! pan ! pan ! » « Qui est-ce ? » « J’arrive, bien marri !
Sur terre on me nomme, mon seigneur, Misère.
Mort à cause du vin et de l’adultère,
Je viens ici, le cœur empli de mille remords. »
« Et qu’as-tu fait de bon, Misère, avant ta mort ? »
« Je n’ai rien fait, hélas ! Mais à chaque aurore
Je priais saint Bernard, que je prie encore. »
On questionna le saint qui, sans sévérité,
Soutint que Misère disait la vérité,
Le priant dans la joie et dans la détresse.
Saint Pierre congédia Bernard aux belles tresses,
Et malgré ses propos ne voulut point laisser
Entrer au paradis le bonhomme blessé.
« Tu n’as rien fait de bon de tes vivantes heures
Et ne peux entrer à la céleste Demeure. »
Et le saint d’ordonner : « Va-t’en aux noirs enfers. »
Et fermer bruyamment derrière lui la porte
En laissant Misère à ses rêves et sa perte.
Avant qu’il ne le fît – nous allions l’oublier –
Saint Pierre lui souffrit de laisser ses souliers
Au paradis. « Ne viens plus ici, Misère ! »
Ordonna-t-il avec violence au pauvre hère.
Ta place est aux enfers ; du Royaume de Dieu
Tu ne verras jamais le doux soleil radieux. »

Or un jour – une fois n’est point coutume –
Saint Pierre fut si las qu’avec amertume,
Forcé, saint Antoine bientôt le remplaça
Et des cent demandeurs de l’éden se lassa,
Faciles repentis et pécheurs téméraires,
Aussi vite que son éternel confrère.
Misère s’aperçut rapidement du changement.
Il frappa à la porte ; on lui dit rudement :
« Que veux-tu ? » « Je suis parti faire des courses
A saint Pierre, et je suis revenu. » « Où est sa bourse ?
Tu n’es qu’un vil menteur à rosser avec soin. »
« Si vous ne me croyez pas, voyez, dans le coin
Mes souliers ; je les ai laissés en partant vite. »
Saint Antoine les vit. Et voilà qu’il invite
Le pauvre hère à entrer, qui, content, va dîner.
Il ne savait bêcher, tisser, ni jardiner,
Et des jeunes filles on lui confia la garde.
Sainte Marguerite vit, fâchée et hagarde,
Les vierges tout à coup grossir étrangement
Et alla au Seigneur parler de ce changement.
Le Seigneur, irrité, fit venir Misère :
« Malheureux ! qu’as-tu fait ? » s’écria-t-il, sévère.
« J’ai continué à vivre comme jadis
Car j’ai cru qu’en venant ici au paradis
Vous voulez que j’oublie une si pauvre vie. »
« Ah, orgueil de Satan ! Elle a été ravie
A de meilleurs que toi, resté obéissants ! »
Dieu appela sa garde, et étant tout-puissant,
Il chassa Misère de son doux Royaume,
Et vous le trouverez partout chez les hommes.

[FIN DU CONTE: LE JOYEUX MISÈRE] 



Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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